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N'y pense plus
16 novembre 2009

On dirait le Sud...

La théorie du vide


Quelle journée ! 

Ce matin, je me suis rendu chez cet Alain très tôt. Comprenez-moi : je ne pouvais plus attendre une seconde de plus, j’étais si proche du but… Du moins, je le pensais.

 

Théo décida de se rendre directement au domicile d’Alain Duroy. Il n’avait plus le temps de respecter les règles de politesse élémentaires, il ne pouvait patienter jusqu’à des heures plus convenables. Dans les rues et le métro qui le conduisaient dans le 16ème arrondissement, la silhouette du garçon filait d’un pas décidé. Chacune de ses trajectoires était calculée pour gagner quelques secondes. Tout ce qui pouvait le rapprocher du dénouement était bon à prendre. 

  Escaliers ou escalators ? Escaliers ! Il y a tellement de gens qui rechignent à faire travailler leurs gambettes... Allez, plus que quelques marches et ça sera la dernière ligne droite. Bon, apparemment ils m’ont réservé un vrai parcours du combattant pour le final. On traverse la route pour éviter les échafaudages, on contourne sans la vexer cette dame qui recouvre la largeur du trottoir. Attention, un piège ! Une jeune maman de jumeaux nous fonce droit dessus avec sa poussette biplace. On se déporte sur le macadam pour déjouer l’embuscade. Non, pas ça ! Un touriste, appareil photo autour du cou et banane à la taille, se dirige vers nous, impossible d’éviter la rencontre. Non désolé, je ne parle pas anglais. Ha, vous parlez français ? Oui dîtes-moi. Non, je ne sais pas dans quelle direction se trouve la Tour Eiffel, non vraiment, je, heu… je viens d’emménager ! De rien, vous aussi, au revoir. Plus que quelques mètres. Voilà, on y est.

Un habitant de l’immeuble bouscula Théo, statique devant la grosse porte en bois. Le garçon en profita pour s’engouffrer dans le sillage du propriétaire. Il devina le bon étage grâce aux boîtes aux lettres disposées à l’entrée, puis emprunta l’ascenseur pour accéder au 4ème. Là, il sonna directement à la porte. Un homme d’une cinquantaine d’années, visiblement en très bonne forme physique, lui ouvrit. Théo réalisa qu’il avait un peu exagéré sur l’horaire en voyant la robe de chambre d’Alain Duroy.

 

Il a été très gentil. Il m’a reçu et a répondu à toutes mes questions. Mais je ne m’attendais pas aux réponses qu’il m’a données…

Il m’a expliqué que trois années plus tôt, Emma avait peu à peu repris les répétitions, puis les spectacles. Mais elle s’était rapidement blessé. Une mauvaise réception sur la cheville qui avait déjà été fragilisée. La sentence avait été sans appel : elle ne pouvait plus danser, en tout cas plus professionnellement. Depuis ce jour, Alain n’a plus de nouvelles d’elle, ni aucun membre de la troupe d’ailleurs. Emma a rompu tout ce qui la liait à la danse.

Ce chorégraphe est un mec plutôt sympa, il était désolé de ne pas pouvoir m’aider. Tout ce qu’il a pu me donner, c’est son adresse de l’époque. Vous imaginez bien que j’y suis allé sans perdre une seconde.

Une nouvelle déception m’attendait là-bas. J’étais à bout de nerfs ! L’immeuble était désaffecté. J’ai inspecté chaque appartement vide, sans savoir vraiment ce que je cherchais. Lorsque j’ai redescendu les escaliers, j’ai aperçu ces boîtes aux lettres. Je me suis alors approché et j’ai découvert une chose que je n’espérais plus depuis longtemps !

 

Puis il vit une lettre qui n’était pas de la réclame. L’enveloppe était jaunie, elle paraissait être là depuis au moins des mois, voire des années. Quand il la retourna, Théo reconnut immédiatement son écriture. « Pour Théo » : le destinataire ne pouvait être plus explicite ! 

Avant de l’ouvrir, une foule de questions vinrent à son esprit. Pourquoi avoir placé cette lettre ici après son départ ?! Emma savait bien qu’il ne connaissait pas cette adresse ! Pourquoi ne pas l’avoir tout bêtement déposée sur la table ou le lit de son studio ? Théo n’attendit pas plus longtemps avant de décacheter le trésor. Un peu d’encre coula étrangement entre ses doigts mais la teinture qu’avait pris le papier indiquait bien qu’elle avait été écrite plusieurs années auparavant. 

 

« Mon amour,

J’ai tout sacrifié à la danse depuis que j’ai sept ans, et je me suis promise que je ne commencerai à vivre ma vie de femme seulement après ma carrière. J’ai trop travaillé pour intégrer une troupe, devenir danseuse professionnelle, je n’ai pas le droit de tout abandonner pour une histoire d’amour, même la plus incroyable. Je ne pourrai pas me partager entre toi et la danse. Le ballet est mon amant, un amant possessif. Il requiert tant de discipline, de travail, de concentration, de dévouement qu’il ne laisse aucune place pour autre chose. Je sais que ces mots te feront mal, et j’ai aussi mal en les écrivant. J’ai mal mais je ne suis pas triste. J’ai confiance en notre destin, tu sais à quel point je fais confiance au destin Théo. Je suis persuadée qu’il nous réunira le moment venu. On réalisera alors tous les projets que nous avions imaginés. On s’installera tous les deux au soleil, à Marseille, tu auras un petit atelier près des calanques, tu vendras tes pots près des ports, moi j’ouvrirai une boutique de ballerines, et on vivra heureux, loin de tout, loin des autres. Je ne sais pas si tu supporteras cette séparation, voilà pourquoi je te laisse cette lettre, elle évitera peut-être des adieux déchirants. Mais si tu veux me dire au revoir, sache que je prends le premier train pour Londres demain, gare du Nord.

   Emma »

 

Presque quatre années plus tard, une lettre d’Emma ! Je ne voyais plus qu’une seule chose à faire pour progresser : me rendre à Marseille. Peut-être qu’elle y avait entamé sa nouvelle vie, même sans moi.

Avant ce nouveau voyage, mon portable a sonné. J’avais oublié que mon stage devait commencer aujourd’hui !

 

 L’homme au bout du fil semblait furieux. Théo devait faire un choix. Maintenant. Poursuivre des recherches qui resteraient sans doute vaines ou se ranger, saisir la dernière chance de raccrocher sa vie normale. Il avait deux secondes pour décider.

 « Bonjour monsieur Carlson, lança t-il courageusement.

 _Théo, si je ne me trompe pas, vous deviez commencer ce matin à huit heures. Si je ne me trompe pas, vous n’avez prévenu personne de votre retard et si je ne me trompe pas, vous êtes en train vous griller à vie dans cette boîte ! Vous en êtes conscient ?! Si j’ai supporté votre petit numéro lors notre entrevue, c’est uniquement parce que mon ami Jeff vous a fortement recommandé, pour ne pas dire qu’il m’a obligé à vous recevoir. Alors si vous ne rappliquez pas ici très vite, je ne trouverai plus d’excuses pour déchirer votre convention !

 _Bon écoutez, Monsieur Carlson, on va passer un marché tous les deux. Vous n’avez aucune envie de me voir dans vos bureaux et je n’ai aucune envie d’y mettre les pieds. On va donc mentir à Jeff, lui faire croire que je remplis ma mission avec talent au sein de votre cabinet. Vous serez tranquille avec lui, et moi je pourrai faire ce que j’ai à faire, et ce n’est sûrement pas de l’audit !

 _Très bien, mon garçon, je crois que vous devenez tout simplement fou mais marché conclu, je préfère tromper Jeff que passer quatre mois avec un énergumène pareil ! »

 Carlson fut surpris par l’aplomb de Théo, transformé, sûr de lui. L’étudiant était très content de lui-même, il était libre pour son enquête ! C’était parfait : il pouvait prétendre aux parents de Sophie et aux siens que tout se passait merveilleusement, et prétexter la fatigue d’un stage épuisant pour voir sa petite amie le moins possible.

 

Cette fois, je ne peux plus faire machine arrière. Je suis fou de m’embarquer dans une histoire aussi insensée ! Je suis arrivé à Marseille ce soir. Demain, j’irai à la recherche des boutiques de ballerines de la ville. Qui sait, peut-être qu’Emma sera derrière une des caisses ?

Je vous ferai partager le résultat mes recherches lundi prochain, toujours à la même heure.

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